Nouveauté! Découvrez le mouvement des Misérables dans une carte interactive du Paris des années 1830...
Dans ce chapitre on découvre que Eponine se sacrifie pour Marius et ne reçoit aucun remerciement de sa part. Et oui Eponine ayant sauvé Marius d’un coup de fusil s’est pris la balle en pleine poitrine. Eponine meure donc en avouant son amour pour Marius ainsi qu’en lui remettant une lettre de Cosette.
Comme Marius, l’inspection faite, se retirait, il entendit son nom prononcé faiblement dans l’obscurité :
– Monsieur Marius!
Il tressaillit, car il reconnut la voix (2) qui l’avait appelé deux heures auparavant à travers la grille de la rue Plumet.
Seulement cette voix maintenant semblait n’être plus qu’un souffle.
Il regarda autour de lui et ne vit personne.
Marius crut s’être trompé, et que c’était une illusion ajoutée par son esprit aux réalités extraordinaires qui se heurtaient autour de lui. Il fit un pas pour sortir de l’enfoncement reculé où était la barricade.
– Monsieur Marius! répéta la voix.
Cette fois il ne pouvait douter, il avait distinctement entendu; il regarda, et ne vit rien.
– A vos pieds, dit la voix.
Il se courba et vit dans l’ombre une forme qui se traînait vers lui. Cela (3) rampait sur le pavé. C’était cela qui lui parlait.
Le lampion permettait de distinguer une blouse, un pantalon de gros velours déchiré, des pieds nus, et quelque chose qui ressemblait à une mare de sang. Marius entrevit une tête pâle qui se dressait vers lui et qui lui dit :
– Vous ne me reconnaissez pas?
– Non.
– Eponine.
Marius se baissa vivement. C’était en effet cette malheureuse enfant. Elle était habillée en homme.
– Comment êtes-vous ici? que faites-vous là?
– Je meurs, lui dit-elle.
Il y a des mots et des incidents qui réveillent les êtres accablés. Marius s’écria comme en sursaut :
– Vous êtes blessée! Attendez, je vais vous porter dans la salle! On va vous panser! Est-ce grave? comment faut-il vous prendre pour ne pas vous faire mal? où souffrez-vous? Du secours! mon Dieu! Mais qu’êtes-vous venue faire ici?
Et il essaya de passer son bras sous elle pour la soulever.
En la soulevant il rencontra sa main.
Elle poussa un cri faible.
– Vous ai-je fait mal? demanda Marius.
– Un peu.
– Mais je n’ai touché que votre main.
Elle leva sa main vers le regard de Marius, et Marius au milieu de cette main vit un trou noir.
– Qu’avez-vous donc à la main? dit-il.
– Elle est percée.
– Percée!
– Oui.
– De quoi?
– D’une balle.
– Comment?
– Avez-vous vu un fusil qui vous couchait en joue?
– Oui, et une main (4) qui l’a bouché.
– C’était la mienne.
Marius eut un frémissement.
– Quelle folie! Pauvre enfant! Mais tant mieux, si c’est cela, ce n’est rien, laissez-moi vous porter sur un lit. On va vous panser, on ne meurt pas d’une main percée.
Elle murmura :
– La balle a traversé la main, mais elle est sortie par le dos. C’est inutile de m’ôter d’ici. Je vais vous dire comment vous pouvez me panser, mieux qu’un chirurgien. Asseyez-vous près de moi sur cette pierre.
Il obéit; elle posa sa tête sur les genoux de Marius, et sans le regarder, elle dit :
– Oh! que c’est bon! Comme on est bien! Voilà! Je ne souffre plus.
Elle demeura un moment en silence, puis elle tourna son visage avec effort et regarda Marius.
– Savez-vous, monsieur Marius? Cela me taquinait que vous entriez dans ce jardin, c’était bête, puisque c’était moi qui vous avais montré la maison, et puis enfin je devais bien me dire qu’un jeune homme comme vous...
Elle s’interrompit, et, franchissant les sombres transitions qui étaient sans doute dans son esprit, elle reprit avec un déchirant sourire :
– Vous me trouviez laide, n’est-ce pas?
Elle continua :
En ce moment la voix de jeune coq du petit Gavroche retentit dans la barricade. L’enfant était monté sur une table pour charger son fusil et chantait gaîment la chanson alors si populaire :
Eponine se souleva, et écouta, puis elle murmura :
– C’est lui.
Et se tournant vers Marius :
– Mon frère est là. Il ne faut pas qu’il me voie. Il me gronderait.
– Votre frère? demanda Marius qui songeait dans le plus amer et le plus douloureux de son cœur aux devoirs que son père lui avait légués envers les Thénardier, qui est votre frère?
– Le petit.
– Celui qui chante?
– Oui.
Marius fit un mouvement.
– Oh! ne vous en allez pas! dit-elle, cela ne sera pas long à présent!
– Prenez, dit-elle.
Marius prit la lettre.
Elle fit un signe de satisfaction et de consentement.
– Maintenant pour ma peine, promettez-moi...
Et elle s’arrêta.
– Quoi? demanda Marius.
– Promettez-moi!
– Je vous promets.
– Promettez-moi de me donner un baiser sur le front quand je serai morte. – Je le sentirai.
Elle laissa retomber sa tête sur les genoux de Marius et ses paupières se fermèrent. Il crut cette pauvre âme partie. Eponine restait immobile; tout à coup, à l’instant où Marius la croyait à jamais endormie, elle ouvrit lentement ses yeux où apparaissait la sombre profondeur de la mort, et lui dit avec un accent dont la douceur semblait déjà venir d’un autre monde :
– Et puis, tenez, monsieur Marius, je crois que j’étais un peu amoureuse de vous.
Elle essaya encore de sourire et expira.